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Le 24 avril 2011,    

en fin de matinée,

il se passait quelque chose

pour le moins singulier

place de Ménilmontant

dans le Xxème arrondissement.

 

 

 

 

       

 

 

L’endroit était propice

puisque

dernier nombril de la folie ordinaire en cette capitale

cabrée sur elle-même comme un vieux cheval,                       

puisque

dernier lieu où les badauds au passage pratiquent

encore le duelde mots

et aiment toujours autant venir y jouer de petits drames quotidiens dans leur gouaille polyglotte.

                                    Il n’y a avait donc rien à première vue qui indiquait une bizarrerie plus grande qu’une autre mais celui dont il est ici question avait  assez bien  compris qu’il fallait surprendre le parisien par les pieds.

 

 

Dans l’alignement  de 

         la bouche de métro et sur           toute la longueur de la place,

il avait dessiné au sol

dans des teintes vives

un haïku de Matsuo Basho

du XVIIème siècle

accompagné,

pour ceux du quartier

qui ne comprennent

toujours pas

le japonais,

de sa traduction

en langue

française :

«

Cette

solitude 

viendrais

-

tu

l’accompagner ?

Feuille

de

Paulownia

»

.

 

 

 

 

 

 

 

 

Apercevant des pinceaux,

des craies de couleur

et quelques pétales de rose

laissés par terre à l’abandon,

le dernier venu, sans traces de l’auteur, ne voyait pas qui, à un bout du poème, de l’ivrogne affalé sur un banc fumant un gros cigare ou de la jeune fille timide assise à l’autre extrémité, avait pu faire chose pareille. Les premiers arrivés passaient alors le mot ou plutôt le geste aux novices de l’énigme en leur indiquant d’un mouvement de tête un arbre sur la place.

                     Un homme y attendait malicieusement que votre regard parvienne jusqu’à lui,

perché à plusieurs mètres de haut et se balançant dans un tissu blanc, attaché pour la circonstance

aux branches d’un Paulownia

d’Asie de l’Est

ayant pris racine,

pour des raisons restées inconnues,place de Ménilmontant.

Le corps presque nu

et entièrement recouvert

de peinture blanche,

mélangée par endroit à du bleu,

du mauve ou du jaune,

restes de ses écritures terrestres,

il ne disait pas un mot

mais se déplaçait

de temps en temps,

s’allongeant sur une branche,

en escaladant une autre,

faisant quelques acrobaties

et changeant ainsi de pose

ou d’expression

tout en regardant parfois ceux qui en bas le scrutaient sans cesse. 

 

Déjà son ascension était en quelque sorte accomplie et il n’avait plus qu’à habiter,

l’espace d’une journée,

cet arbre dont il avait longtemps surveillé la floraison,

à goûter le bonheur d’un baron perché en pleine ville et à se laisser envahir par cette seconde nature telle qu’il se l’était auparavant imaginée.

Resté là-haut ainsi muet jusqu’à ce que le soleil disparaisse de la place en fin d’après-midi, il ne cherchait ni à jouer l’homme, ni la bête, ni un mélange affecté des deux.

C’était à proprement dit un être fabuleux, feignant d’avoir toujours vécu ici et au visage tout proche des pantomimes dans l’heureuse étrangeté qu’il répandait autour de lui.

L’insolite ne débordait jamais sur la sincérité et son extravagance en rivalisait de justesse avec toutes les choses environnantes.

 

L’événement n’était en rien mineur car si on peut assister de nos jours à toutes sortes de performances, annoncées dans des programmes, prévues dans des lieux précis, réglées par des protocoles imbuvables, on rencontre peu de véritables faiseurs d’étonnement, à la portée de tous, comme il l’est lui, même descendu de son arbre, qui se défendent de cet attirail frauduleux et désoriente le monde en toute liberté.

 

Le 23 avril 2011, il occupait son arbre pour la quatrième fois (chacune d’elle étant toujours très différente) et c’était aussi sa quatrième « tentative d’intégration » selon ses propres mots car la première remonte au 7 mai 2010 lorsqu’il s’était installé à six heures du matin, peint en rouge, à la cime du Paulownia, à plus de huit mètres donc, sans avoir laissé au préalable aucun message au sol et que la police, ayant reçu plus d’une centaine d’appels en moins de deux heures, l’avait prié vers neuf heures de redescendre. Quand il n’est pas en train de mûrir une nouvelle déroute pour le quartier qu’il habite depuis six ans déjà (et où naturellement tout le monde le connaît) ou pour tout autre lieu opportun, SangFroidGitan, né «l’année où on marchait sur la lune», est comédien professionnel, diplômé du Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique il y a maintenant dix-sept ans, l’âge de son chat Maurice qui ne quitte jamais son épaule. François Genty de son vrai nom est aussi un danseur confirmé de butô qu’il pratique depuis une dizaine d’années et plasticien à sa manière puisque les couleurs et les matières ont toujours accompagné ses idées et qu’avant de découvrir le théâtre, il a passé quelques mois aux Beaux-Arts d’Orléans.

François Genty ne triche pas, il reste le même sous tous ses jours et cela parce qu’il cherche un sens bien précis depuis très longtemps, celui d’une confiance absolue dans le mystère, dans toute chose qui redonne à la vie sa magie primitive et avec ses boules de cristal en place des yeux, il fait tourner les puzzles de signes qui émaillent son histoire et sa généalogie dont il a aussi exploré toutes les branches et sur laquelle il est intarissable. A commencer par celle de son grand-père maternel Gilbert Renault, producteur de films (J’accuse d’Abel Gance), vainqueur de la loterie nationale (50 000F) l’unique fois où il y joue par désespoir financier, mieux connu sous le nom du Colonel Rémy, un des chefs de réseau les plus importants de la Résistance, ayant rejoint l’Angleterre et De Gaulle dès le 19 juin 1940 et dont les romans policiers ou écrits de guerre inspireront des films célèbres tels que Le Mur de l’Atlantique (1970) de Marcel Camus ou Le Monocle Noir (1961) de Georges Lautner.

François Genty a toujours des histoires de fortune à la bouche. Au fond son premier don, qui lui a insufflé tous les autres, a été de se laisser guider par une intuition sans bornes pour cette logique irrationnelle du destin et il est en passe aujourd’hui de devenir à son tour, à chaque seconde de son existence, à la cime d’un arbre ou en rasant les murs, un véritable semeur de hasards, un orfèvre de coïncidences improbables et un aiguilleur du sort.

 

 

 

 

 

 

 

Louise

Bastard

de

Crinay

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le Baron Perché de Ménilmontant

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